Rencontre avec le Maréchal. [Privé.]

Gabriel marchait d'un pas rapide sur le chemin dallé menant à la Serre. Il s'était une fois de plus levé de bonne heure, ou n'avait-il pas dormi ? Il ne savait plus trop. Qu'importe. Voici un mois qu'il avait croisé deux espèces de plantes qu'il avait mit à l'abri. Avant de mener sa mission à bien, il devait d'abord vérifier que sa combinaison avait marché.. Elle lui serait certainement utile.

Passant l'entrée de la serre, il desserra sa prise sur la sacoche qu'il tenait en main, et s'arrêta... Il respira à pleins poumons l'air ambiant de la serre. Un sourire naquit sur ses lèvres, alors qu'il reprenait son chemin, qui le mena au coin aménagé laboratoire de la serre. Les tables avaient été nettoyé depuis son précédent séjour ici... Il haussa vaguement les épaules. L'entretien de cet endroit ne lui appartenait pas, après tout.

Il posa ses affaires - qui comprenait sa sacoche et son chale - sur une des tables les plus à l'ombre, et disparu entre les rayons de plantes. Il mit environ un quart d'heure à revenir, les bras chargés d'une plante en pot, qu'il posa le plus délicatement possible sur une autre table. Le pot devait bien faire une trentaine de centimètre de profondeur, avec un diamètre d'environ quarante centimètres. La terre n'était plus visible. Le récipient était pleins de petites fleurs rouges - ressemblant étrangement à des roses de noël - la plus part du temps cachées par d'épaisses feuilles vertes kaki.

" Hum... "

L'air perplexe, il tira une caisse qui se trouvait sous la table, et en sortit des gants, qu'il enfila avant de prélever une feuille. Se placant au bout de la table où se trouvait tout le matériel qu'il lui fallait, il commença son étude... A l'aide d'un scalpel, il découpa un fin morceau de la feuille, et le placa entre deux lames, qui vinrent trouver leur place sur le microscope. Changeant l'échelle de grossissement plusieurs fois, il finit par se relever pour aller chercher de quoi prendre des notes...

Invité

Il l’ignorait, mais malgré l’heure matinale, quelqu’un d’autre avait déjà emprunté le chemin dallé de pierre sur lequel résonnait à présent le pas de ses bottes. Le jeune Maréchal aurait peut-être été contrarié de se rendre compte qu’il n’était pas seul en ces lieux… mais pour le moment, rien ne permettait de penser que ses envies de retraite seraient mises à mal par la présence d’une tierce personne. Aussi le chevalier continuait-il à s’avancer lentement vers l’immense bâtiment de verre qui trônait au milieu du jardin botanique, avec des airs de palais plus que de vivier végétal tant ses dimensions étaient impressionnantes pour une serre.

Malgré le climat général de la région, le fond de l’air était encore frais à cette heure-ci et Hayden fit une pause devant la porte fenêtre qui marquait l’entrée de l’édifice, ferma les yeux et inspira profondément pour essayer d’enrayer un début de migraine. Il la sentait poindre depuis son levé, plus encore depuis le début de la revue matinale des troupes et de l’annonce des ordres qui la suivait invariablement. Chaque matin depuis sa jeune investiture au grade de Maréchal, il lui fallait se plier à ce rituel. Le climat de la ville était calme ces temps-ci, nulles tensions entre les groupes ethniques ou encore entre les différents ordres ne s’étaient faites sentir depuis quelques temps déjà, et pourtant il fallait pour tous se plier aux règles martiales de l’ordre. Il importait peu au chevalier que cet exercice soit une perte de temps, ce n’était pas ce qui le dérangeait… Hayden avait simplement encore du mal à se faire à l’obligation de côtoyer autant de monde tous les jours, particulièrement le matin. Habitué à de longs moments de solitude au réveil durant les trois années de sa « croissance » dans le laboratoire de la Commanderie, il lui arrivait d’avoir réellement besoin de s’isoler depuis qu’il était entré en poste à la tête des troupes de l’Ordre.

Après quelques inspirations, qui ne firent pas grand effet sur le mal qui commençait à le gagner, le jeune homme abaissa la clenche et entra rapidement dans la serre. Peut-être si l’air frais n’avait suffit à interrompre le martèlement sourd du sang à ses tempes, une marche solitaire au milieu de l’espace clos et protégé de la serre le pourrait-elle. Géante bulle de verre, semblant étrangère au monde extérieur avec sa végétation luxuriante et colorée, la serre offrait un espace qui paraissait né des rêves plus que de la science. Hayden aimait venir se promener seul en ces lieux, retrouvant les sensations qu’il ressentait chaque fois qu’il observait le parc de la Commanderie, par derrière les immenses vitres qui perçaient les murs du laboratoire. A l’époque déjà, il pouvait rester des heures dans un complet silence, laissant son esprit s’égarer au hasard du flot de ses pensées, les yeux baignés par la beauté du jardin en contrebas. L’enfant qu’il était alors trouvait un apaisement incroyable dans cette vision si simple que tout naturellement, bien que presque six années se soient écoulées, il en revenait au même stratagème pour calmer son stress chaque fois que le besoin s’en faisait sentir.

Le pas lent, alourdi par la douleur qui commençait à monter à sa tête de plus en plus fort, le Maréchal s’avançait sur le chemin principal, déboutonnant un à un les boutons argentés de son long manteau d'officier. Le bruit de ses bottes ne rompait plus le silence alentour, la terre battue qui recouvrait le sol à la place des dalles de l’extérieur absorbant totalement le choc de ses pas sur le sol. Il en allait de même pour quiconque se trouvait ici en plus de lui, laissant pour un instant encore au chevalier la sensation tant désirée d’être seul au monde…

Ouvrant sa sacoche, il dut fouiller dedans un instant, avant de trouver des feuilles et un crayon. Ce fut à ce moment-là, qu'il perçut, distraitement, que des sons externes à la serre qui résonnèrent sur le toit de verre pour envahir l'air... Hm. Il n'était certainement plus seul. Il se demanda qui pouvait bien venir ici à cette heure... Certainement pas Erina. Elle ne savait pas qu'il se trouverait ici. Et même si elle le savait, il doutait qu'elle vienne le déranger ...
Il chassa ses pensées de son esprit. La serre n'appartenait pas qu'à lui.

Haussant brièvement les épaules pour lui-même, il retourna se poster devant le microscope, posant les feuilles à côté, et glissant son crayon entre ses lèvres, il placa son oeil au dessus de la partie oculaire du microscope. Les résultats qu'il pouvait voir le stupéfiait. La fusion des deux espèces étaient parfaites ! D'un mouvement rapide, il récupéra son crayon est prit des notes, sous formes de symboles qu'il s'était inventé afin que personne ne puisse les lire. Il n'avait rien à cacher, mais ses recherches ne concernait que lui.

Content de lui, il s'écarta, replacant le crayon à sa première place, c'est à dire entre ses lèvres.

" Ne me reste plus qu'à la préparer... "

Sauf que ces plantes, séparées, demandaient deux sortes de préparations. Il décida de trancher entre les deux. Il allait d'abord recueillir l'essence des feuilles de sa création. Il rejoignit l'armoire où se trouvait tout le matériel en verre. Là, précautionneusement, il prit en main les premiers outils utile à la distillation. Le premier voyage se passa sans encombre... Alors que le second... Il eut l'esprit ailleurs, ce qui fit que deux ballons vinrent se briser sur le carrelage, dans un bruit fracassant. Horrible dans un pareil lieu.

" Rhaa ! Quel maladroit je fais... "

La mine dépitée, il s'agenouilla, pour ramasser les plus gros morceaux de verre qui jonchaient le sol.

Invité

La plénitude du moment - déjà malmenée par les céphalées qui refusaient de plier même devant ce qui était jusque là le remède miracle à tous ses maux - se brisa bien vite pour le Maréchal en quête de quiétude… Il stoppa net son avancée sur le petit chemin de terre quand le silence fut déchiré par le bruit si reconnaissable du verre qui se fracassait au sol. Un instant Hayden crût qu’un rôdeur avait brisé une des grandes vitres de la serre pour s’y introduire, mais il chassa bien vite cette hypothèse ridicule de son esprit. Il n’y avait rien à dérober ici pour un malandrin ou même pour un des membres de la Guilde des Voleurs. Pour une personne avisée certes, la serre abritait des espèces qui auraient put être revendues à prix d’or, mais peu de gens étaient versés dans la connaissance des espèces végétales…

Des enfants peut-être alors… non plus. De toute façon si une des vitres de la verrière avait éclaté, pour quelque raison que ce fut, le bruit aurait été beaucoup plus assourdissant que celui qui venait de résonner sous le dôme de verre et de métal. Le jeune homme ferma longuement les yeux et ne bougea pas tout de suite, prenant d’abord le temps de refouler l’agacement qui s’emparait de lui à présent qu’il savait ne pas être seul. Restait à savoir qui était l’autre personne présente, songea-t-il en soupirant légèrement. Fichue pour fichue, autant donner à sa promenade une autre tournure et aller voir ce qu’il en était.

Le son lui était parvenu depuis le fond du bâtiment, plus en avant que là où ses pas l’avaient conduit jusqu’ici. Avant de se remettre en route, il prit soin de vérifier que sa dague se trouvait bien à sa ceinture. Mieux valait être prudent tout de même, bien que tout fut calme dans la cité d’Almase, l’on était jamais à l’abri d’une mauvaise surprise… et ne dit on pas qu’il faut se méfier de l’eau qui dort ? Le contact rassurant de la garde de sa dague passé sous ses doigts, Hayden reprit sa marche, sans changer le rythme de ses pas. Tout au plus prenait-il garde à ne pas faire de bruit, chose qui ne lui avait pas effleuré l’esprit quand il se pensait encore seul dans la serre. Sa haute sature progressait peu à peu vers le lieu d’origine du fracas survenu quelques secondes auparavant. Il ne lui fallu que peu de temps pour apercevoir une silhouette courbée sur le sol, en train de ramasser ce qui était bien des débris de verre.

Tout en s’approchant d’elle, il prit soin de détailler au mieux la personne à qui il allait avoir affaire. Apparemment, vu la coupe courte qu’arborait sa chevelure noire de jais et la largeur de son dos, il s’agissait d’un jeune homme. Le chevalier remarqua qu’il ne portait aucune protection aux mains. Ainsi le contact fut rapidement noué, quand Hayden s’accroupit au côté de la silhouette occupée à récolter les débris de verre les plus conséquents et dit sur un ton le plus courtois possible :

« Permettez, vous pourriez vous blesser. »

Levant ses prunelles couleur de glacier vers celles du jeune homme, le Maréchal avança sa main aux doigts longs et fins, recouverte d’un gant blanc qui expliquait sans détour la réplique qu’il venait de lancer. Sans attendre la réponse éventuelle du garçon qui se trouvait à ses côtés, ses yeux revirent se poser sur le sol et il commença à ramasser un à un les bouts de verre qui le jonchaient, les déposant dans sa main libre au fur et à mesure.

Gabriel n’avait pas entendu l’homme arrivé, alors qu’il ramassait un à un les débris de verre, se disant qu’il allait devoir les repayer de sa poche…Il ne le remarqua celui-ci que lorsqu’il s’accroupit à côté de lui. Ce qui surprit par la même Gabriel, faisant arrivé ce que le Maréchal avait voulu éviter. Il venait de s’entailler la paume de la main. Il étouffa un léger grognement alors qu’il relevait son regard bleu-vert sur l’autre homme. Il fut encore plus surprit de le voir de si près. Et de l'entendre proposer son aide ! Malgré le sang qui commençait à remplir le creux de sa paume, il ne put s’empêcher de sourire.

" Merci de votre attention… Mais ne vous en faites pas. J’ai l’habitude. "

Il remarqua que le jeune homme face à lui ramassait aussi les morceaux de verre, se justifiant des gants blancs qu’il portait… Humpf. Rapidement, il se releva, passant sa main libre sous celle qui saignait, afin d’éviter qu’en plus du verre, ce soit son sang qui traîne sur le carrelage. Il alla prendre son châle qui traînait sur la table où il l’avait déposé. Dessus, il laissa tomber les bouts de verre rouges et s’essuya négligemment la main. Il revint presto s’accroupir près de l’homme, en tenant son châle entre ses deux mains pour qu’il y dépose les morceaux de verre, au lieu de les tenir en main. Lui aussi risquait de se blesser, s’il était aussi doué que Gabriel.

" Ne vous blessez pas non plus. Sait-on jamais. "

Souriant, ses perles légèrement plissées, il en profita pour détailler le Maréchal. Il l’avait déjà aperçu de loin, mais n’avait jamais pu porter un jugement sur lui, ne lui ayant jamais parlé, et ne l’ayant jamais suffisamment approché pour voir la couleur de ses yeux. Là, il avait tout le loisir d’en profiter, sans excès. Et il se dit qu’il était vraiment… séduisant. Un visage parfait, non marqué par des rides de sourire par contre… Mais le plus impressionnant restait ses yeux. Ils étaient tout simplement… Envoûtant, malgré leur froid. Il ne put effacer le sourire enfantin qu’il était certain d’avoir aux lèvres. Un gosse face à un ange.

Invité

" Ne vous blessez pas non plus. Sait-on jamais. "

Remarque quelque peu ironique au regard du châle teinté de pourpre que le jeune homme présentait au Maréchal, lui rendant ainsi l’attention qu’il avait eu à son égard un instant plus tôt. Attention qui avait plutôt mal fait son effet, puisque ce que voulais éviter Hayden s’était produit par sa faute. Cependant, nulle trace d'ironie dans le ton du garçon qui s'adressait à lui.

En un sens, Hayden était lui aussi maladroit et à nouveau, un léger soupir s’échappa de ses lèvres qui elles, ne souriaient pas. Du moins ne souriaient-elles pas au moment où il se faisait la réflexion de sa responsabilité concernant la blessure de son interlocuteur… Mais dès l’instant où il releva les yeux vers celui-ci et qu’il posa pour la seconde fois ses iris transparents sur le visage du garçon qui se trouvait face à lui, il ne put se retenir d’esquisser à son tour un sourire. Pas un sourire aussi lumineux que celui qui éclairait l’harmonieux visage du jeune asiatique – il n’avait jamais sourit de la sorte dans sa courte existence, peut-être parce qu’il ne savait pas ce qu’étais une vie « normale », qu’il n’avait pas de souvenirs du genre de ceux qui réchauffent le cœur et donnent des couleurs uniques aux expressions d’un visage – c'était un sourire simplement ébauché mais non moins sincère. Une chose différenciait encore plus le jeune homme du Templier, et c’est ce détail qui retenait prisonnier le regard aux teintes givrées d’Hayden…

Plus que ses lèvres même, les yeux du garçon semblaient sourire et donner cet éclat si particulier à son visage aux lignes délicates. Deux bijoux bleu-vert enchâssés entre de longs cils noirs et épais - échos de sa chevelure de jais – avaient happé le regard limpide du chevalier, qui ne semblait plus pouvoir s’en détacher. Si il n’avait voulu le fixer aussi franchement, c’était pourtant bien ce qu’il faisait, hypnotisé par la douceur que reflétait les deux perles de jade qui l’instant d’avant le détaillait lui aussi.

Il ignorait totalement à qui il avait affaire, mais le sentiment d’agacement ressentit au moment où il sut que sa promenade ne serait pas ce qu’il avait escompté, avait bel et bien disparût. C’était à la curiosité qu’il avait laissé sa place, donnant au jeune Maréchal l’envie de pousser plus avant la découverte de l’identité de son compagnon de hasard. Une chose néanmoins n’avait pas disparût à la faveur du changement d’orientation que prenait la matinée… Une vague de douleur vint brusquement enserrer son crâne, lui rappelant que la migraine ne renoncerait pas aussi facilement à lui gâcher la journée, et le força alors à détacher brusquement ses yeux du visage de l’autre. Hayden referma lentement le rideau de ses paupières sur le bleu de ses pupilles, inspira calmement, avant de les rouvrir tout aussi précautionneusement. Il lui fallait réagir avant qu’une nouvelle attaque ne vienne broyer son crâne et ne l’oblige à un mutisme qu’il ne désirait pas.

Le jeune officier déposa rapidement les morceaux de verre qu’il tenait encore en main sur le tapis coloré de rouge qui lui était présenté, avant de le prendre à son propriétaire et de se diriger vers la table, en laissant entendre le son de sa voix pour la seconde fois :

«On dirait que vu son état actuel, ce récipient n'a plus rien à craindre. Je n’en dirais pas autant de nous deux si nous persistons à vouloir nettoyer par contre... »

Il déposa le châle sur la table, suffisamment loin des objets fragiles pour ne pas empirer les dégâts matériels par un mouvement malencontreux, puis il se retourna vers l’inconnu aux yeux de jade. Si le bref sourire qu’avait eu Hayden ne se devinait plus sur ses lèvres lisses, son expression n’avait rien de sa sévérité habituelle. Face au jeune homme - qui lui, souriait toujours – elle avait revêtit un habit de bienveillance que nombre de gens auraient été surpris de découvrir sur le visage de l’officier. Cela dit, c’était la résultante directe de sa propre surprise face à un sourire que jamais personne ne lui avait encore adressé. Mais cela, il ne l’analysait pas encore, tout préoccupé qu’il était par la volonté de réparer les conséquences malheureuses qui avaient suivi sa première phrase.

« Si vous me montriez plutôt votre main… Pour cela, je peux faire quelque chose je pense. »

Il n’approcha pas le jeune asiatique, lui laissant le choix de faire savoir comment il comptait répondre à sa proposition. Considérant qu’il en avait déjà assez fait en mal en voulant faire pour le bien de ce dernier, il préférait le laisser juge d’accepter ou non sa volonté de réparer l’incident.

Gabriel fronça légèrement les sourcils quand il vit soudainement le Templier détourner son regard pour fermer ses paupières... Puis les rouvrir un instant après, avec prudence. Hm... Certainement un mauvais mal de crâne. Il allait lui proposer une décoction facile et rapide à préparer quand l'officier lui prit le châle des mains après y avoir rapidement déposés les morceaux de verre. Les mains libres, il se redressa, suivant du regard l'autre. Il esquissa un nouveau sourire amusé en entendant sa remarque. Il avait raison.

" Je vais aller chercher une serpillère ... Cela sera plus simple. "

Il esquissa un pas dans la direction de l'armoire, là où il savait se trouver justement ce qu'il lui fallait.. Quand il s'arrêta, surpris par la proposition du Maréchal. L'aider ? Jamais il n'aurait pensé que les choses prendraient une telle tournure... Mais hier encore, il s'imaginait bien loin d'une telle situation, il n'aurait pas pensé se retrouver si vite devant l'homme qui... Non. Il ne devait pas y penser. Cela l'affecterait de trop.

Il jeta un coup d'oeil à sa paume, un de ces fins sourcils s'arquant. Son entaille n'était pas profonde, mais large, suffisamment pour ne pas s'arrêter de saigner. S'il y appliquait un de ses pommades, il ne doutait pas qu'une croute se formerait tout de suite, arrêtant le saignement... Mais il était aussi curieux de voir ce que le Templier allait bien pouvoir lui faire. Ce fut donc sa curiosité qui l'emporta.

Aussi, retrouvant un sourire ravi, il se rapprocha du jeune officier, tendant sa main blessée devant lui, l'autre en dessous, pour éviter à son sang de couler soit le long de son bras, soit par terre...

" Ce n'est qu'une blessure superficielle, vous savez... rien de grave. "

Le jeune asiatique parla sur un ton tendre et courageux à la fois, presque malgré lui. Il ne se départit pas de son sourire éclatant. Presque heureux, le gamin, alors qu'il fixait l'homme droit dans les yeux.

Invité

Finalement, il avait bien fait de laisser l’initiative à sa nouvelle connaissance… Le jeune homme lui présenta rapidement sa paume, tout en lui souriant une fois de plus comme quelques instants plus tôt. Il donnait l’air d’être habitué à ce genre d’incidents, du moins le ton assuré de sa voix le laissait penser ainsi que les mots qu’il prononça :

" Ce n'est qu'une blessure superficielle, vous savez... rien de grave. "

Dans sa voix perçait autant de douceur que dans son sourire, ce qui laissait penser au Maréchal qu’il ne lui en voulait pas pour cet incident et que sa proposition était également appréciée.

« Nous allons bien voir. », lui répondit Hayden tout en attrapant son poignet, plaquant sa paume encore gantée contre le dos de sa main afin de pouvoir observer la blessure.

Les bords de la plaie étaient largement espacés, laissant s’écouler le sang assez abondamment bien que la coupure ne soit pas très profonde, comme l’avait fait remarquer le jeune homme. Quelques gouttes de liquide vermillon perlèrent sur son gant lorsqu’il retira sa main de sous la sienne pour se retourner et prendre le châle posé sur la table d’observation. L’officier jeta un rapide coup d’œil sur le tissu blanc qui avait absorbé le sang de Gabriel, haussa brièvement les épaules tandis qu’une ébauche de sourire venait à ses lèvres pour la seconde fois. Tendant le châle vers son compagnon, il lui dit :

« Epongez encore un peu le sang s’il vous plaît… ce sera bientôt terminé. »

Tout en lui adressant ces mots, il retira ses gants et les posa sur la table à la place qu’avait occupé le châle juste avant. Portant sa main droite à la garde de sa dague, il hésita un instant… Après tout, il ne savait rien de ce garçon et lui montrer sa particularité n’était peut-être pas une bonne idée… D’un autre côté, il avait soigné nombre de Templiers blessés et il était fort probable à présent que le « don » du Maréchal ne soit plus un secret pour personne. De plus, ce n’était pas là une information capitale à cacher sur sa personne ou encore sur l’Ordre…Un instant, Hayden songea qu’il n’avait rien à cacher ou presque, pour la bonne et simple raison que son histoire personnelle se réduisait quasiment au néant. A cette pensée, un voile de tristesse passa imperceptiblement sur ses prunelles au bleu transparent. Mais heureusement, il avait autre chose à penser et son esprit retourna au mouvement amorcé la seconde d’avant. Il acheva de retirer calmement la dague du fourreau accroché à sa ceinture.

« Ne vous en faites pas, vous ne serez pas blessé une fois de plus. Cette fois ci, se sera pour moi. »

Sur ses mots, il entailla franchement l’index de sa main gauche, d’un geste précis et assuré. Tandis que le sang affluait vers la coupure, colorant peu à peu sa peau si blanche, il remit l’arme au fourreau puis dirigea son regard vers les yeux de l’asiatique. Lui souriant légèrement pour l’assurer que tout allait bien, le Maréchal prit la main blessée dans la sienne. Un court instant, il sembla distrait, le contact chaud et soyeux de la peau de Gabriel contre la sienne l’avait quelque peu surpris… Il n’était guère habitué aux contacts physiques, en tout cas pas au contact de la peau. Durant son enfance, on ne le touchait jamais qu’avec des gants médicaux, les seuls à le toucher ayant été médecins et infirmières du laboratoire lors des tests pratiqués régulièrement sur les clones.

C’était une sensation nouvelle que celle d’une peau contre la sienne… une sensation des plus agréables, dont il apprécia chaque seconde la découverte dans les instants qui suivirent. Personne n’aurait été à ce point attentif à une chose aussi banale, mais pour lui, le ressenti était prenant car inconnu jusqu’alors. L’esprit absorbé par la sensation inhabituelle qu’il expérimentait sans l’avoir prémédité, Hayden plaça son doigt au dessus de la paume de Gabriel et en pressa presque mécaniquement la base avec son pouce, pour faire couler son sang sur la plaie qui la traversait.

Il revint un peu plus à la réalité, en constatant que le filet de sang qui s’écoulait de son doigt n’était pas assez important pour être efficace en le faisant simplement goutter au dessus de la blessure. Avec une infinie précaution, il posa alors son doigt sur la coupure, espérant ne pas éveiller une quelconque douleur chez le jeune homme, et le frotta doucement sur toute sa longueur durant quelques secondes. Lorsqu’il le retira, ils purent voir les bords de la peau se ressouder quasi instantanément. Satisfait, Hayden releva une fois de plus son regard limpide vers les yeux du garçon et inclina légèrement la tête dans sa direction, avec l’air de vouloir confirmer que tout était réglé.

Il se laissa faire, docile, tout en observant tous les gestes de l’homme… Aucun de ses gestes n’étaient inutiles, tout était calculé, du moins, aux yeux de l’herboriste…Il n’appréciait pas vraiment d’être soigné comme un enfant, mais apparemment, et à son grand étonnement, cela avait l’air de convenir au Maréchal. Il ne laissa rien paraître de son sentiment, se contentant de garder un petit sourire aux lèvres… Mais ses sourcils se froncèrent légèrement, quand il vit que des gouttes de son sang venaient de glisser sur le tissu blanc des gants… Il devrait se débrouiller pour en offrir de nouveau à l’officier. Bien que celui-ci puisse déjà en avoir une collection ! Quand il lui tendit son châle, il le prit de sa main valide, acquiesçant d’un signe de tête. Puis il épongea donc sa blessure, sans vraiment trop faire attention, puisque celle-ci était fixée sur les gestes de l’autre.

Ses perles bleues irisées de vert suivirent chaque mouvement avec une attention particulière. Il ôta ses gants pour les poser là où se trouvait précédemment son châle…Puis sa main droite se porta vers la garde d’une arme qu’il n’avait pas encore entrevue… ‘Ce sera bientôt terminé’… Hm… Il n’allait quand même pas l’achever ? Il remarqua la note de tristesse qui passa dans le regard de glace de sa nouvelle connaissance… Hm. Il se demanda bien à quoi il pouvait penser. Qu’est ce qui pouvait le rendre triste… Cela semblait impossible. Mais les apparences sont souvent trompeuses, et il était bien placé pour le savoir.

Un sourire hilare passa sur ses lèvres lorsqu’il réalisa que non, il n’allait pas finir ici… enfin. Il n’aurait pas à se défendre, et donc à révéler son identité. Bien que vues ses origines, il serait simple pour lui de justifier sa connaissance en matière de combat. Mais … lui ? Se blesser ? Il fixa son interlocuteur, encore plus curieux, et surtout, presque affolé. Il venait de s’ouvrir un doigt. Il décida d’attendre un peu la suite pour comprendre ce qu’il venait de faire. Tout s’éclaira quand il le vit laisser goûter son sang sur sa paume. Mais il était concentré sur le contact entre leurs mains. Contrairement aux contacts qu’il avait eu ces derniers jours, celui là, il l’avait choisi. Aussi … en profita-t-il ? Sûrement.

Le pouce du jeune homme se posa finalement sur son entaille, il fut légèrement surpris, mais ne bougea pas. Ni ne manifesta un quelconque signe de douleur… Quand il retira son pouce, Gabriel examinait sa main. La blessure se referma quasiment instantanément, sous ses yeux. Qu’il ouvrit grand de surprise. Là, il ne put se taire.

"Et bien ! Encore mieux que la plus efficace de toutes mes pommades ! "

Il ne fit pas remarquer que cette prouesse signifiait clairement que le Maréchal était un clone, il l’avait fait exprès. Il pouvait deviner ce que c’était d’être différent. Même si ce n’était qu’au niveau des gènes… Aussi, quand les perles claires du jeune homme se relevèrent sur lui, il sourit de nouveau, reconnaissant. Mais maintenant, il désirait également faire quelque chose pour lui… Ah ! Son mal de crâne, puisqu’il ne pouvait pas immédiatement se procurer des gants blancs.

" Je … euh… vous remercie. Vraiment. J’aimerais vous proposer…euh… Il me semble que vous aviez un début de migraine. Et si jamais je vois juste, j’aimerais vous proposer une décoction qui la chassera pendant un bon moment. "

Il avait parlé d’une voix peu assurée sur la fin, accompagnant sa phrase d’un sourire presque gêné. En général, il ne proposait jamais ses produits. C’était ses clients qui venaient lui demander ce qu’il leur fallait…Ou alors il se servait directement sur les étagères où il plaçait tous ses remèdes et venaient le payer.

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Au sourire qu’il lui adressa une fois de plus, Hayden put se rassurer sur le fait qu’il n’avait pas effrayé son acolyte. Tout au plus surpris et apparemment pas de façon désagréable. Puis le jeune homme proposa à son tour ses talents au Maréchal pour le soulager. Il était sûrement très observateur, car il avait put déduire que son infirmier improvisé était en proie à de douloureuses montées de migraine, en n’ayant pour seul indice que le bref instant où il avait fermé les yeux pour laisser passer la vague qui déferlait dans son crâne. Il n’était donc pas si maladroit que ça, ou au moins pas en ce qui concernait l’esprit.

Gabriel avait formulé sa proposition sur un ton un peu hésitant, ce que l’officier ne s’expliquait pas. Mais sa réserve n’avait rien de dérangeant, au contraire elle ajoutait au climat serein que ce garçon semblait créer naturellement autour de lui. Un don au moins aussi précieux que celui d’Hayden, qui lui n’était pas forcément doué pour mettre les gens à l’aise. Il faut avouer qu’évoluer tout d’abord dans un milieu presque uniquement médical, puis au sein d’un ordre de religieux militaires ne prédisposait pas à être un hôte accomplit… Si en plus on ajoutait une légère difficulté à se sentir à l’aise avec autrui, les choses étaient plus ardues pour le jeune chevalier que pour d’autres. Les six courtes années qu’il avait passées en quasi captivité à la Commanderie n’avaient pas arrangé ses tendances à la froideur avec les gens en général.

Cette fois-ci pourtant, il avait eu moins de mal à se montrer aimable, voir peut-être chaleureux et se trouvait heureux de voir que les choses s’engageaient agréablement entre lui et le second visiteur de la serre. Dire qu’il avait pensé finir agacé cette promenade contrariée… Pour l’instant, ses sentiments prenaient une direction diamétralement opposée et il n’allait pas s’en plaindre. La force de sa migraine avait quelque peu reculé devant la calme atmosphère qui s’était installée entre les deux hommes. Plus de violents éclairs de douleur pour le moment, seulement une sensation diffuse d’enserrement qui s’était lourdement campée sur tout le pourtour de son crâne, raidissant sa nuque et tirant fortement sur ses tempes. Le Maréchal prit une profonde inspiration, expira lentement en fermant les yeux, avant de prendre la parole.

« Je ne saurais refuser une offre si pertinente et si aimablement présentée. Je vous remercie pour votre sollicitude. »

Tout en donnant son accord et en faisant part de sa gratitude au jeune homme, Hayden porta sa main à sa nuque. Il commença à la masser lentement, espérant la détendre un peu en attendant le remède salvateur qu’il venait de se voir offrir. Se faisant, il songea qu’il était encore ignorant du nom même de son compagnon.

« Avec ce malheureux incident, nous avons manqué les présentations. », dit-il Gabriel sur un ton détendu, malgré la douleur. « Hayden d’Aesir. » , ajouta-t-il en tendant à nouveau sa main vers celle de l’homme qui se trouvait face à lui.

Cependant, il ne prit pas la peine de décliner sa fonction, n’ayant nulle envie que la discussion prenne une tournure trop formelle… Il n’avait pas revêtu de son uniforme ce matin, seulement le long manteau que les officiers portaient habituellement, et ce n’était pas pour rien. Oublier son poste de Maréchal et les ennuyeuses obligations qui allaient parfois avec était un de ses désirs quand il quitta la Commanderie pour se rendre à la serre, aussi comptait il bien que les choses demeurent ainsi, même si il n’était plus seul à présent.

Voyant que le Maréchal acceptait son offre, il retrouva un sourire plus détendu. Il s’apprêtait à aller chercher sa poudre dans sa sacoche, mais une nouvelle fois, il observa le Maréchal. Ses moindres gestes avaient la fâcheuse tendance à ca pter son attention de A à Z. Puis avant qu’il n’ait le temps de camoufler son expression captivée, il se vit offrit une main, alors qu’il apprenait enfin le nom de son interlocuteur, du moins de sa bouche à lui.

" Gabriel Yukio. Ravi de vous rencontrer Monsieur d’Aesir. "

N’osant pas l’appeler par son prénom, il choisit la forme la plus polie, alors que sa main, la valide, venait doucement serrer sa main. Le contact ne dura qu’un instant. Evitant ainsi de révéler qu’il avait la peau moite. Souriant, il se rapprocha de la table pour y prendre sa sacoche et l’ouvrir. Il farfouilla un instant dedans, avant d’en ressortir un petit sachet blanc, rempli d’une poudre de couleur verte foncé. Il la posa sur la table, et retourna à l’armoire, dont il sortit une tasse et une bouteille en verre remplie d’eau. Il mit en place son équipement d’apprenti chimiste pour faire chauffer de l’eau. Pendant que l’eau bouillait, il retourna prendre son châle et les bouts de verre, pour les jeter dans une poubelle. Il s’exécutai avec minutie, tout en évitant de regarder l’officier. Sachant d’avance que s’il le faisait, il se mettrait de nouveau à sourire d’une façon de simplet. Cela ne l’empêchait pourtant pas d’avoir en ce moment un grand sourire lumineux. Jugeant que l’eau devrait être assez chaude, il se dépêcha d’aller la transvaser dans la tasse, et y plongea le petit sachet, à peine préparée la veille. La solution ferait rapidement effet, et pour quelques jours. C’était une dose assez élevée, mais elle n’entraînait aucune conséquences grave. A part peut-être une joie de vivre un peu plus marquée. L’effet des extraits de gingembre, surement.

Prenant précautionneusement la tasse en main, il se rapprocha d’Hayden pour la lui donner. Ce qui pouvait ressembler à une tisane dégageait une odeur exotique.

" Je ne sais pas si l’eau est vraiment chaude, mais faites attention de ne pas vous brûler… les lèvres ou la langue. "

Il aurait pu s’arrêter après le mot ‘brûler’, mais Gabriel était de ceux qui s’exprimaient jusqu’au bout lorsqu’ils commençaient une phrase. Quitte à se faire passer pour tout et n’importe qui. Il avait toujours été comme ça, et ne changerait pas de sitôt. Ce fut à ce moment-là seulement qu’il s’autorisa de nouveau à regarder l’homme dans les yeux. Les siens en partie légèrement caché par quelques mèches de jais qui avaient glissé sur son visage.

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