Journée singulière [réservé Erina]

Gabriel s'était reveillé au milieu de la nuit pour aller rejoindre son herboristerie. Cela faisait déjà plusieurs jours qu'il travaillait à l'élaboration d'un vin bien particulier. Une sorte de boisson énergétique, mais en mieux. Mais il y avait toujours un ingrédient qui réagissait mal, ou alors, l'ingrédient qu'il lui fallait n'était pas pret à être utiliser. Il avait du contourner, mettant à rude épreuve sa matière grise.

On était finalement en milieu de matinée, et il n'avait pas vraiment avancé. Mais d'un côté, cela lui plaisait. Les choses trop simples l'ennuyaient. En ce moment, il se trouvait donc assit face à une grande table, où plusieurs intrusments de chimie étaient en action. Certains faisait bouillir, d'autres distillaient... Mais ses mains étaient concentrées à malaxer une pâte de couleur beige. Au bout d'une dizaine de minutes, il plaça la pâte dans un saladier, puis il se pencha vers une des solutions en train de bouillir.

" Hm... Cela devrait être bon maintenant. "

Enfilant un gant isolant, il prit le bécher en main, avec à l'intérieur un liquide bouillant de couleur dorée. Il le versa sur la pâte, et reposa le bécher, sourire aux lèvres. Qui se dissipa bien vite...

" Rha... J'ai oublié le miel ! "

Il se releva, et courut presque jusqu'a l'autre bout de l'herboristerie. Là où trônait une immense armoire, pleines de fioles et compagnie... L'attirail d'une véritable sorcière en herbe. Sorcier, dans son cas... Il prit en main un pot de miel blanc, et retourna à sa table. Il jeta un coup d'oeil perplexe à sa mixture. Pas de mousse, pas de crépitement, pas d'explosion. Tout était ok. Il posa le bocal et l'ouvrit, d'un geste précis. En publique, il se débrouillait toujours pour faire paraître qu'il n'avait pas suffisament de force pour l'ouvrir en une seconde... Bref.

" Rha... J'ai oublié la cuillère ... Bon. De toute façon. "

Il rapprocha le saladier du bol, et plongea trois doigts dans le pot de miel, afin d'en prendre suffisamment en une fois, histoire de ne pas en mettre partout... Puis il posa ses mains dans le bol, où il commença à mélanger, mi-souriant mi-perplexe, sa mixture... D'une oreille, il perçut un bruit de pas. Mais il ne s'arrêta pas. Attendant qu'on vienne à lui. Ou pas.

Le souk était noir de monde en cette heure tardive de la matinée.
Les commerçants réapprovisionnaient leurs étales, des enfants couraient le long des allées encombrées bousculant vieillards et passants chargés de victuailles, ou essayant de négocier de-ci delà quelques menus rabais.

Erina, essayait de se faufiler parmi cette cohue, retenant d’une main l’immense étole de lin qu’elle portait sur ses épaules.
Elle s’attarda devant un étalage de fruits multicolores, avança son bras et attrapa une très belle pomme rouge qu’elle fit tourner dans sa main, avant de la glisser d’un geste rapide et précis dans sa besace.

Elle reprit calmement son chemin, et se posta devant la devanture d’une petite boutique à l’enseigne rongée par la rouille.
Sa main glissa alors dans son corsage de coton et en ressortit un papier où une adresse y avait été griffonnée.

Les vitres n’étaient pas d’une propreté exemplaire, et elle dut s’approcher un peu plus pour découvrir le décor qui l’attendait à l’intérieur.
La pièce principale était entourée d’immenses armoires et étagères de bois foncé, où bocaux et fioles attendaient d’être achetés.
Au fond de la pièce, elle pouvait distinguer, un mini laboratoire où un homme semblait occupé à la préparation d’une quelconque décoction.
Elle le vit s’éloigner de celui ci, prendre un petit pot clair dans l’unes des grosses armoires, pour revenir vers son établi.

Erina s’avança prés de la porte et fut stoppée par la main implorante d’un infirme dont la maigreur trahissait la faim.
Elle s’agenouilla prés de lui, et attrapa la pomme qu’elle venait de dérober pour la lui remettre.

« Tiens, je n’ai que ça à te donner. Dis moi suis je bien devant la boutique Yukio ? »

L’homme acquiesça d’un signe de tête avant de porter avec avidité la pomme à ses lèvres.

Erina se releva, prit une grande inspiration et se décida à pousser la lourde porte du magasin.
Ses pas résonnèrent sur le sol, attirant certainement l’attention de l’homme qu’elle avait distingué de la rue.

« Bonjour »

Entendant une voix de femme, Gabriel s'arrêta net de malaxer la pâte. Elle devait reposer un peu, de toute façon. Il attrapa un des torchons qui trainait dans la poche avant de son tablier fleurit et s'y essuya les mains. Puis il se tourna, un grand sourire aux lèvres.

" Bonjour ! Que puis-je pour vous ? "

Ses perles bleues irisées détaillèrent la demoiselle. Il se demanda ce qu'elle pouvait bien faire ici. Elle n'avait pas l'air d'une femme ayant besoin de soin médicinaux... Enfin, les apparences étaient souvent trompeuses. Il était bien placé pour le savoir.

" Je doute que vous veniez me demander une quelconque potion, n'est-ce pas ? "

Souriant, et sans quitter des yeux la jeune femme, il se dirigea vers une plante qui grimpait le long d'un fin baton. Délicatement et proprement il lui arracha une feuille. Gabriel aimait les plantes, et il n'appréciait pas de les 'blesser' comme ca... Mais quelque fois, après des expériences ratées, où il avait utilisé bon nombre d'ingrédients pour rien, il lui arrivait de s'en vouloir. Dans ces moments-là, il se souvenait des mots de sa mère ...
" Tant que tu prendras soin d'elles, elles seront toujours heureuse de te servir... Elles me l'ont dit. " Souvent il avait rigolé à ces mots, sans se moquer, mais juste parce qu'il avait du mal à y croire... Maintenant, tout était différent. Il passait son temps avec les plantes. Il parlait avec elles... Leur offrant l'amour qu'il n'offrait à personne d'autre, celui qu'il ne pouvait plus offrir à sa soeur. Elle aussi les aimait.

Il retourna près de la table, et rajouta la feuille dans un ballon où bouillait déjà plusieurs feuilles et autres ingrédients.

Le jeune homme semblait parfaitement maitriser sa science ce qui la conforta dans l’idée qu’elle avait trouvé ce qu’elle venait chercher ici.
Elle répondit à son sourire avec la même amabilité qu’il semblait afficher.
Consciente qu’il ne la prenait pas pour une cliente, elle entra rapidement dans le vif du sujet.

« Je m’appelle Erina Coghlan. On m’a dit que vous recherchiez une assistante, aussi je me demandai si la place était encore libre et si je pouvais encore y prétendre »

Tout en continuant la conversation, elle le vit se diriger vers une jolie et frêle plante grimpante à fleurs pourpre sur un tuteur de bois, c’était une jeune pousse de Pharbitis purpurea rentrant dans la composition de nombreuses potions et antidotes
Lorsqu’il en arracha une feuille, Erina sursauta légèrement ressentant au plus profond d’elle même la douleur silencieuse de la plante.
Tandis qu’il retournait vers sa mixture Erina s’approcha du végétal, et plaça sa main contre la tige meurtrie, dégageant une onde imperceptible à l’œil humain.

« J’aime les plantes, je les connais toutes, je pense pouvoir affirmer que je pourrais vous être très utile »

Gabriel écouta attentivement Erina, se plaçant nonchalamment contre la table chargée des fruits de ses expériences. Et bien, elle ne passait pas par quatre chemins ! Et il appréciait. Il souria d'autant plus quand elle lui annonça qu'elle désirait devenir son assistante. Non pas qu'il rêvait d'avoir quelque sous ses ordres, mais il n'était pas contre un peu d'aide de temps en temps... Avant c'était sa soeur qui s'occupait de tout ce qui était rangement. Aussi bien dans la maison, la serre et l'herboristerie. Depuis, il vivait dans son fouillis ordonné, faisant occasionnellement le ménage. D'où l'état des vitres.

" Et bien... Oui je cherche une assistante. Et oui vous pouvez y prétendre. Je vous engage dès à présent. "

Il regarda la jeune femme se diriger vers sa plante, et sentit qu'elle ne voulait que du bien à cette créature de la Nature... Et il ne douta pas un instant des mots qu'elle venait de prononcer.

" Bien sûr, il y aura une période d'essaie... Mais je ne doute pas que vous resterez avec nous. "

Il sourit de plus belle. Par ce nous, il désignait toutes les plantes qu'il fréquentait, plus que lui même. S'écartant de nouveau de la table, il se rapprocha d'Erina, lui tendant fébrilement sa main, completement nettoyée de la mixture par son chiffon, qui lui ne semblait plus aussi propre, du coup.

" Je suis ravi de vous rencontrer et de vous prendre sous ma tutelle, Erina Coghlan. "

Un des ballons qu'il avait mit sur le feu se mit à siffler. Il se retourna vivement pour aller le déplacer, ayant rapidement enfiler son gant isolant. Il était maladroit, mais pas totalement idiot.

La jeune pousse allait mieux, elle le sentait, sa main lâcha la tige fine et diaphane de la plante pour glisser sur la table de chêne massif qui la supportait.

Gabriel eut une réponse assez rapide quant à son embauche qui la surprit.
Avait-il sentit sa différence ? Elle en doutait. D’imminents chercheurs ne l’avait jamais décelée, et, aussi qualifié qu’il soit il n’avait pu en si peu de temps démasquer quelque chose.

Elle avança sa main lorsqu’il présenta la sienne, heureuse de conclure par une poignée sincère, le rapide entretien qu’ils avaient mené.
L’échange n’eut pas lieu, la préparation en cours, le rappela à l’ordre et c’est avec un léger sourire sur les lèvres qu’Erina resta la main tendue tandis qu’il se hâtait de retirer le tout sur le feu.

Elle jeta un rapide coup d’œil autour d’elle et se dirigea vers un bassin de marbre au fond de la pièce où flottaient plusieurs fleurs aquatiques, elle y trouva rapidement ce qu’elle cherchait.
Ses doigts se posèrent avec attention sur les pétales blanches d’une Batrachium aqualitis dont elle retira non sans anesthésier la belle, le pistil jaune. Puis exerçant une légère pression sur sa tige immergée, elle regarda un sourire radieux sur les lèvres, le cœur de la fleur se reformer.

Erina retourna vers son patron et posa une main sur son épaule tandis que l’autre lui présentait sa paume .

« Le dernier ingrédient, et non le moindre n’est ce pas ? »

Il écarta le ballon fumant du reste de ses ingrédients qui jauchaient la table. Sait-on jamais. Ce ne serait pas la première fois que cela prendrait feu. Les mélanges étaient toujours difficiles, même pour quelqu'un de compétent.

Peut-être était-ce pour cela ? Parce qu'il n'était pas un scientifique ? Il était herboriste. Il vivait depuis sa naissance entouré de verdure. Cela faisait des mois et des mois, qu'il était encore plus présent ici... Il pouvait identifier l'odeur de l'air, dire de quelle plante elle provenait... Tout n'est pas toujours rationnel. Non, Gabriel n'était pas modifié, non Gabriel était normal. Il avait juste son don à lui. Qui n'était guère plus qu'un amour inconditionnel pour la Nature.

Du coin de l'oeil il observa la jeune femme aller jusqu'au bassin, pendant qu'il placait le ballon sur un support en férail. Puis, alors qu'il avait à peine placé un bécher en verre à côté du ballon, une main se posa sur son épaule. Les mains libres et non habitué aux contacts physiques, il eut un brusque mouvement réflexe de l'épaule, s'écartant d'Erina.

" ... Excuse-moi. Je ne suis pas habitué aux contacts. "

Confus, il se contente de continuer ce qu'il était en train de faire. Il tend alors une coupelle à Erina, pour qu'elle y dépose sa récolte.

Le mouvement brusque de recul, qu’il eut lorsqu’elle avait naturellement posé sa main sur lui, la surprit, mais elle ne s’en formalisa pas pour autant.
Elle inclina légèrement sa paume et fit glisser le cœur de la plante dans la coupelle de bronze que lui avait tendu Gabriel.

« Je n’ai pas voulu vous gêner. Ce geste m’est venu naturellement, je veillerai à ce que ce genre d’incident ne se renouvelle pas. »

Elle contourna la table et vint se placer en face de lui, observant les gestes méthodiques et précis dont il usait.
Son regard se porta sur une grosse horloge placé au dessus de la porte d’entrée, et s’inquiéta de l’heure qui avançait.
Il était capital qu’elle ne soit pas en retard pour l’important rendez vous qu’on lui avait donné.

Son esprit chercha un moyen de partir sans être impolie envers son employeur.

« La journée étant bien entamée, je me propose de revenir demain matin, pour commencer sur une journée pleine, si vous n’y voyez pas d’inconvénient »

Et il posa la coupelle à côté du bécher. Il devait d'abord attendre que le mélange refroidisse... Cela lui laissait également le temps de passer à sa chambre, où il avait encore un ingrédient, qu'il prévoyait de rajouter en tout dernier lieu. S'il n'arrivait rien de fâcheux à ses mélanges pendant se temps là. Il leva ses perles sur Erina.

" Pas du tout, Erina. "

Au dessus de la table, il lui tendit sa main. Lui offrant la poignée qu'il n'avait pu lui accorder avant. Il lui montrait aussi également qu'il était désolé pour son mouvement brusque d'avant.

" Nous nous revoyons demain alors. "

Il esquissa un sourire, ses yeux se plissant légèrement. Il allait aussi devoir prévoir ce qu'il ferait demain, tout en essyant de tester les connaissances de sa nouvelle assistante.

Erina eut un léger mouvement d’hésitation à toucher sa main, compte tenu de sa réaction précédente, mais c’est avec plaisir qu’elle la serra enfin.
Elle se dirigea d’un pas assuré vers la porte de la boutique et l’ouvrit sur la rue.

« A demain… »

D’un rapide regard elle s’assura qu’elle ne connaissait aucun des visages alentours.
C’est coiffée de son étole de lin, rabattue d’une main sur son visage, qu’elle se faufila à travers les ruelles du souk

Le repaire des Nazârites

" A demain. "

Il esquissa un sourire. Puis une fois que la porte de son herboristerie fut close, il retrouva un air sérieux. Il nettoya rapidement quelques ustensiles, et rangeant au mieux possible la table, sans toutefois toucher aux ingrédients.

Le pas souple et rapide, il contourna la table, et vint fermer la porte à clé. Ce n'était qu'une petite précaution... Il ne serait pas de retour avant quelques heures. Il attrapa ses affaires, et sortit par l'arrière de la boutique, pour finir dans une petite cour, totalement encombrées d'objets, de caisses de livres... Un vrai marché aux puces ! Il se glissa jusqu'au mur le plus éloigné de la porte. Là, il y souleva une tenture, a peine visible tant sa couleur se confondait avec celle, vieillie, du mur. Elle dissimulait une petite porte de bois, par laquelle il se glissa pour finir dans un coin sombre de rue...

[ > Repaire des Nizârites. ]

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